L’imperfection comme stratégie : que nous dit vraiment le Pratfall Effect lorsque l’on parle de durabilité ?
Dans l’univers du design et des marques, l’aveu d’imperfection s’impose discrètement comme un nouveau langage. Là où l’on affichait autrefois une maîtrise totale, on voit désormais apparaître des récits plus nuancés, presque fragiles, qui reconnaissent que tout n’est pas parfaitement aligné. Le dernier rapport d’impact de Patagonia en est une illustration emblématique : un récit qui assume autant les réussites que les zones d’ombre.
Ce changement n’est pas anodin. Il répond à ce que la psychologie sociale appelle le Pratfall Effect : le fait que l’aveu d’une faiblesse rend une entité perçue comme compétente plus attachante, plus crédible, plus humaine. Dans un monde saturé de discours formatés, cette vulnérabilité maîtrisée crée un espace nouveau, où la confiance semble retrouver un point d’ancrage.
Mais lorsqu’on parle d'environnement, ce geste narratif ne peut être dissocié du système dans lequel il s’inscrit.
Reconnaître ses limites comme acte stratégique
Ce mouvement vers l’authenticité a du sens. Il ouvre la porte à une communication plus juste, moins verticale, moins défensive. Il permet d’expliquer la complexité des chaînes de valeur, les arbitrages techniques, les zones de tension entre intention et réalité.
Cependant, l’aveu ne doit pas devenir un refuge. Car les enjeux qui nous occupent – sobriété, circularité, réduction drastique de l’impact ne se résolvent pas à travers une narration, aussi sincère soit-elle.
C’est là que les chiffres de Patagonia deviennent éclairants.
Un chiffre d’affaires qui dépasse 1,5 milliard.
Une croissance multipliée par quatre en dix ans.
Un engagement de 1 % reversé à des initiatives environnementales ce qui, à l’échelle du modèle économique, reste modeste.
Cette lucidité, celle des récits et celle des chiffres place la transparence dans un double rôle : celui d’un pont, mais aussi celui d’un écran possible.
Le risque de la transparence confortable
L’imperfection assumée peut créer une proximité réelle avec le public. Mais elle peut également devenir un geste esthétique, un élément de langage qui apaise la tension sans transformer la structure.
En design comme en stratégie, on connaît bien ce phénomène : ce n’est pas parce qu’un problème est bien raconté qu’il est résolu.
Le danger est simple. À force d’expliquer honnêtement pourquoi il est difficile de faire autrement, une entreprise peut involontairement installer une forme de normalité autour de l’insuffisance. Nous comprenons alors mieux les contraintes, mais nous oublions peut-être d’interroger le cadre lui-même : la croissance permanente, la fabrication de nouveaux objets, la compétition des volumes.
Repenser le récit, repenser le système
Ce que révèle le Pratfall Effect appliqué aux enjeux environnementaux, c’est que la sincérité ne suffit pas. Pour que l’imperfection devienne autre chose qu’un outil rhétorique, elle doit s’accompagner d’une ambition transformatrice.
Dans notre pratique, nous observons que les marques qui avancent le plus loin sont celles qui parviennent à articuler trois dimensions :
1.la reconnaissance de leurs limites,
2.une vision claire de ce qu’elles veulent évoluer,
3.des actions concrètes qui redéfinissent leur manière de concevoir, de produire et de distribuer.
Le design, dans cette perspective, n’est plus seulement une mise en forme. Il devient un levier pour transformer les modèles, interroger les usages, ralentir, simplifier, réduire.
Conclusion
L’aveu d’imperfection peut être un point de départ puissant. Il crée une ouverture, un espace. Dans le cadre des enjeux environnementaux, cette transparence ouvre surtout la voie à une exploration plus large : celle des ajustements possibles au niveau des modèles économiques et organisationnels.
En d’autres termes : raconter ses limites n’a de sens que si cela permet d’en dessiner de nouvelles.